Souches d’arbres, vivantes, connectées, utiles

Longtemps considérées comme de simples vestiges ligneux en décomposition, les souches forestières ont fait l’objet d’un regain d’intérêt scientifique. Des découvertes récentes révèlent qu’elles peuvent rester vivantes grâce aux réseaux souterrains partagés avec les arbres voisins, et qu’elles jouent un rôle écologique, hydrologique et mémoriel essentiel! Ce réseau souterrain forme une véritable ‘wood wide web’, où les arbres communiquent et partagent nutriments, eau et signaux biochimiques."
1. Survie des souches d’arbres : un phénomène biologique coopératif
Contrairement à l’idée reçue, certaines souches continuent à vivre pendant des décennies, bien après que leur tronc et leurs feuilles ont disparu.
🧬 Expérience clé :
Bormann & Graham (1959) ont découvert une souche de Tsuga canadensis (pruche du Canada) encore vivante, sans feuilles, dans les forêts du New Hampshire.
Elle présentait une activité cambiale normale. Les chercheurs ont conclu qu’elle recevait ses nutriments via les racines des arbres voisins.
Des découvertes similaires ont été faites en Nouvelle-Zélande :
🔬 « We found living kauri (Agathis australis) stumps that appear to be physiologically integrated into the surrounding forest via root grafts with neighbouring trees. »
Les souches sont connectées par des greffes racinaires et partagent des ressources via les réseaux mycorhiziens (champignons symbiotiques).
🧠 « Ce réseau souterrain forme une véritable ‘wood wide web’, où les arbres communiquent et partagent nutriments, eau et signaux biochimiques. »
— Suzanne Simard, chercheuse en écologie forestière (Université de Colombie-Britannique)
2. Mémoire climatique et écologique
Les souches d’arbres conservent dans leurs cernes les traces des conditions climatiques passées, y compris :
- périodes de sécheresse (cernes étroits),
- années de forte croissance (cernes larges),
- stress causés par des attaques d’insectes, incendies ou maladies.
📚 « The analysis of tree rings in stumps has proven invaluable for reconstructing local paleoclimate data. »
— Fritts, Tree Rings and Climate (1976)
En dendroécologie, les souches permettent de croiser des séries dendrochronologiques sur plusieurs siècles. Elles sont parfois mieux préservées que les arbres vivants car elles sont protégées sous terre du vent et des rayons UV.
3. Services écosystémiques essentiels
a) Réservoir de biodiversité
Les souches d’arbres en décomposition sont une source de microhabitats pour :
- les invertébrés saproxyliques (coléoptères, fourmis, vers),
- les champignons (notamment les espèces endomycorhiziennes),
- les amphibiens et petits mammifères.
« Stumps and coarse woody debris significantly increase habitat heterogeneity and microclimatic stability. »
— Harmon et al., Ecological Applications, 1986
b) Cycle des nutriments
Les souches d’arbres agissent comme réservoirs de carbone et de nutriments :
- elles stockent et relâchent azote, phosphore, potassium lors de leur décomposition,
- elles contribuent à la fertilité du sol et à l’installation des plantules.
c) Hydrorégulation
Grâce à leur réseau racinaire partiellement actif, les souches peuvent participer à la stabilisation du sol, à la rétention d’eau, et à la limitation de l’érosion, particulièrement en terrain pentu ou humide.
4. Implications en gestion forestière et conservation
Dans le cadre de la sylviculture ou de la reforestation, les souches sont souvent vues comme des obstacles ou des sources de maladies. Mais leur rôle écologique incite aujourd’hui à les préserver dans certains contextes :
« Retaining dead wood, including stumps, is now considered a best practice in biodiversity-friendly forestry. »
— Lindenmayer et al., Forest Ecology and Management, 2006
Elles peuvent servir de supports de régénération pour certaines essences (ex. : bouleau, tremble), voire être utilisées comme indicateurs de santé écologique dans les suivis de terrain.
Conclusion
Les souches sont loin d’être mortes : elles peuvent être vivantes, communicantes, nourricières et archivistes. Dans l’intelligence collective de la forêt, elles incarnent à la fois la mémoire, la solidarité et la renaissance.
Sources scientifiques principales :
- Bormann, F.H., & Graham, B.F. (1959). The survival of roots after stem death. Ecology, 40(4), 688–689.
- Brahma et al. (2019). Hydraulic Coupling of a Living Stump and a Live Tree Supports the Possibility of Resource Sharing. iScience, 19, 110–119.
- Simard, S.W. et al. (1997). Net transfer of carbon between tree species with shared ectomycorrhizal fungi. Nature, 388(6642), 579–582.
- Fritts, H.C. (1976). Tree Rings and Climate. Academic Press.
- Harmon, M.E. et al. (1986). Ecology of coarse woody debris in temperate ecosystems. Ecological Applications, 6(3), 591–595.
- Lindenmayer, D. et al. (2006). Retention forestry and biodiversity conservation. Forest Ecology and Management, 232(1–3), 1–11.